L'intériorisation de la déviance et les carrières déviantes
Le déviant prend conscience de sa déviance. Il va rejoindre le groupe des autres déviants (derrière lui). |
Les membres du groupe stigmatisé peuvent alors intérioriser cette image négative d'eux-mêmes, ce qui peut expliquer l’appropriation par certains de comportements effectivement déviants… Autrement dit, les individus stigmatisés vont se conformer à l’image qui est données d’eux-mêmes par les autres. Ils vont intérioriser les comportements déviants.
Et vous pourriez penser que c’est idiot… Mais il est
difficile de se débarrasser d’une étiquette. Et bien au contraire, elle se
renforce souvent.
On observe ce mécanisme avec les élèves timides… A l’école,
la norme, c’est qu’il faut participer en classe. L’élève qui ne participe pas
est déviant. Le terme « déviant » est ici exagéré parce que « être timide »
n’est pas péjoratif (quoique, dans la bouche de certains professeurs cela
pourrait). Mais j’ai remarqué que lorsque les profs mettaient des « prenez la
parole », « ne soyez pas si timide », « n’hésitez pas à participer », etc.,
cela conduisait le plus souvent à ce que des élèves non timides mais peu
participant deviennent de plus en plus timide, et à ce que les timides le
soient encore plus. [Cela mériterait une étude un plus scientifique].
Prenons un autre exemple que j’ai observé plusieurs fois…
Les élèves de collèges, quand ils rentrent en sixième, sont plutôt homogènes
dans leurs comportements. Il y en a des discrets, des sportifs, des blagueurs
mais ils sont plutôt tous gentils, et même plutôt tous travailleurs. Et puis
les notes et les commentaires des profs vont arriver… Tel élève sera catalogué
comme bon élève (ce qui est valorisé) et il va conserver ce comportement dans
la grande majorité des cas (cela peut évoluer avec la socialisation par les
pairs mais c’est rare). Tel élève sera catalogué comme distrait, peu attentif,
légèrement perturbateur… Des choses qui ne sont pas valorisées et dont on
attend qu’elles s’inversent. C’est pourquoi cela sera mis sur son bulletin.
Mais en fait, plutôt que de l’amener à changer de comportement, cela va lui
donner une identité dont il aura du mal à se défaire, une identité qu’il va
intérioriser et développer. Et le pire, c’est que cela va renforcer les
professeurs dans leur jugement initial.
C’est ce qu’on appelle l’autoréalisation d’une prophétie.
Les professeurs ont anticipé qu’un élève ne serait pas bon, et ils ont généré
la réalisation de cette prévision.
Mais pour revenir à l’intériorisation de la déviance,
placez-vous à la sortie du lycée et du collège, et regardez comment agissent
certains élèves faibles à l’école (ceux qui ont du mal avec le règlement intérieur,
qui se font coller, exclure…). La démarche ou le comportement n’est pas celui
de la norme mais il est en accord avec une certaine étiquette collée à ces ados
par les entrepreneurs de morale que sont les professeurs. On marche d’une
certaine manière, on parle d’une certaine manière, on porte ses écouteurs d’une
certaine manière, etc.
Becker, lui, avait travaillé sur les musiciens de jazz… Une
étiquette de drogué leur était accolée. Et il montrait que ce n’étaient pas les
drogués qui devenaient musiciens mais les musiciens qui intériorisaient ce que
l’on attendait d’eux et qui finissaient par se droguer. La stigmatisation fait
en sorte que les stigmatisés développent les stigmates de leur déviance ; les
stigmates étant les marques péjoratives que l’on accole à ceux qui sont
différents.
Et si vous
réfléchissez et que vous étendez le mécanisme, vous retrouverez le
processus qu’ont connu certains homosexuels, transgenres, habitants des
banlieues, habitants de la campagne…
Revenons à mes élèves « faiblards » du lycée qui adoptent un
comportement déviant… Avez-vous remarqué qu’ils « s’associent » entre eux,
qu’ils se retrouvent qu’ils forment un groupe… « Qui se ressemble, s’assemble »
me diriez-vous.
Par-delà le problème de la constitution des groupes sociaux, ce qui nous intéresse ici, c’est
ce qui se passe à l’intérieur du groupe, et d’une manière générale, ce qui se
passe une fois intériorisée la déviance par l’individu.
Souvent, un individu qui transgresse une norme va finir par
intègre un groupe déviant et y apprendre les normes et les pratiques de ce
groupe déviant. Encore fois, laissez
trainer vos yeux et vos oreilles.
Et donc, on peut voir l'expérience de la déviance comme une
carrière dont on peut ou non sortir.
Exemple : à force d’être stigmatisé comme étant une « racaille », un élève commence à voler, puis à fréquenter d’autres voleurs, puis à apprendre des techniques pour améliorer sa pratique, puis à intégrer un gang, etc.
A chaque étape, il y a deux voies : continuer ou arrêter la carrière...
mais plus on avance, plus il difficile d’arrêter. Et est-ce que mon exemple
n’aurait pas été meilleur si j’avais parlé de dealer?
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