La multiplication des facteurs d'individualisation

 


Parallèlement au mouvement de moyennisation et d’homogénéisation des modes de vie, les individus deviendraient individualistes et pluriels….

Les membre d’une société seraient individualistes parce qu’ils recentreraient leurs préoccupations sur leurs intérêts personnels, pas ou moins sur ceux de leur groupe(s) d’appartenance, et moins encore sur une quelconque classe sociale.  L’ouvrier se soucieraient plus de sa situation personnelle que de celle de sa classe de travailleur exploité par des capitalistes. D’ailleurs les ouvriers ne veulent plus qu’on les appelle ouvriers, ce sont des agents techniques, des agents de maintenance, etc.

 Et le propriétaire d’entreprise chercherait la maximisation de sa satisfaction personnelle avant de défendre les intérêts de son éventuelle classe sociale de capitaliste.

Un autre exemple pour montrer que les individus échappent à leurs classes: si un enfants d’ouvriers fait des études longues et devient avocat, ne peut-il se marier avec une avocate fille d’avocat ? Et un avocat fils d’avocat, ne peut-il se marier avec une employée de commerce ?

L’appartenance à un groupe, avec un respect des normes de ce groupe, perdrait de son importance sous l’action de facteurs d’individualisation.

L'individualisation désigne le processus par lequel les individus ont peu à peu acquis une capacité à se définir par eux-mêmes et non en fonction de leur appartenance à telle ou telle entité collective, et notamment à telle ou telle classe sociale.

Et il existerait différents facteurs d’individualisation :

  • La concurrence entre travailleurs dans le monde du travail qui ne facilite pas le sentiment d’appartenance à la classe des exploités (l’ennemi, c’est l’autre travailleur, pas l’exploiteur),
  • La poursuite des études qui permet aux enfants des catégories populaires de s’élever socialement,
  • La mobilité géographique qui conduit les enfants à sortir d’un certain environnement culturel,
  • La recherche d’un épanouissement personnel qui conduit à mettre le groupe au second plan,
  • La baisse du poids de la religion…

Parallèlement, et même en conséquence, les individus seraient pluriels. L’individu pluriel est une notion développée par Bernard Lahire à la fin des années 90.

Bernard Lahire (1963-?)

Lahire montre que la portée des classes sociales en tant qu’outil de compréhension de la société n’est plus la même… simplement parce que la société a changé et les sources de socialisation sont devenues multiples.

La socialisation, pour rappel, est le processus de transmissions des normes et des valeurs, base de la construction de l’identité individuelle et de l’identité sociale.

Au XIXème siècle, un enfant naissait dans la classe prolétaire. Il était socialisé par une famille d’ouvriers, fréquentait des enfants d’ouvriers, allait travailler très tôt à l’usine et y était socialisé par des ouvriers. Et sans doute se mariait-il avec une ouvrière ou une fille d’ouvrier. Dans tous les cas, il ne se mariait pas avec la fille du grand bourgeois local.

Le processus était le même avec les enfants de la classe bourgeoise qui était préparé à rester des bourgeois et surtout à se marier entre bourgeois.

Mais dans la société moderne, la plupart des enfants vont dans des écoles mixtes socialement. Ils sont issus de milieux sociaux différents mais se socialisent entre eux.  Et ils restent longtemps à l’école. D’autre part, le même mécanisme peut se renforcer dans les associations ou par le biais des médias (internet, TV).

Ainsi, dans la société actuelle, il y a des artisans qui vont au théâtre, des avocats qui jouent au foot, des ingénieurs ou des traders qui plaquent tout pour aller vivre à la campagne voire dans des ZAD, des enfants d’ouvriers qui deviennent juges, etc.

Un même individu a plusieurs identités: celui qui est en train de rédiger ce cours est un urbain qui vit désormais en zone rurale. Il est enfant d’ouvrier mais appartient à la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures. Il a été sportif de haut niveau, mauvais élève au lycée mais très bon élève à l’université. Il a été maître-nageur, chercheur (enfin assistant de recherche), homme politique. Il est président d’association, professeur du secondaire, professeur à l’école d’infirmières, formateur académique.

Et en plus, il est très très beau, très très drôle et très très intelligent... Ce que son patrimoine génétique et social ne laissait pas présager... Pouf pouf!!!

 En fait, dans la société moderne, avec les médias, avec les associations, avec l’école et les études, avec la mobilité géographique, un individu va subir une socialisation multiple, et faire de multiples expériences, qui aboutissent à la création d’identités multiples. Or des identités multiples sont pas compatibles avec notre définition des classes sociales qui postule une identité sociale forte et unique. D'autre part, ces socialisations multiples peuvent conduire à des trajectoires de vie qu'on qualifie d'improbables même si elles ne le sont pas tant que cela et qui donne ce que l'on nomme des transfuges de classes. 

Un meilleur exemple de transfuge de classe que l'auteur de ce blog
Annie Ernaux, l'exemple type d'une transfuge de classe

Ainsi l’individu pluriel est incompatible avec les classes sociales de Marx dans lesquelles les individus sont homogènes, et distincts de ceux des autres classes sociales.

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