La socialisation secondaire: entre rupture et continuité

 

Dans la construction de l'identité de Marie-Jacqueline, qu'est-ce qui va le plus peser: son père ou son conjoint?


La socialisation se déroule tout au long de la vie. Et s’il y a une socialisation primaire (durant l’enfance), il y a une socialisation secondaire.

La socialisation secondaire est la transmission des normes et des valeurs qui se poursuit à l'âge adulte.

Elle arrive donc après l’enfance et l’adolescence (ça pose déjà le problème de savoir quand s’arrête l’adolescence). Et la question, c’est qu’elle va être son action sur les fruits de la socialisation primaire… Comment et dans quelle mesure va-t-elle transformer l’individu ?

Elle arrive donc après l’enfance et l’adolescence (ça pose déjà le problème de savoir quand s’arrête l’adolescence). Et la question, c’est qu’elle va être son action sur les fruits de la socialisation primaire… Comment et dans quelle mesure va-t-elle transformer l’individu ?

 

La socialisation professionnelle

Le monde professionnel (l’entreprise par exemple) est un monde qui a son propre système de normes et de valeurs : la valeur travail, la valeur entraide, la valeur respect, etc. ; les normes vestimentaires, les normes de langage, de gestion du temps, etc.

Ce système va entrer en contact avec celui initial de l’individu. Et à chaque changement d’employeur, il faut souvent se réadapter. Le problème est que ce contact va se faire à un moment où l’individu est déjà bien modelé par la socialisation primaire.

Si le système culturel (l’ensemble des normes et de valeurs) du monde professionnel est éloigné du système qui a forgé l’individu, il peut en résulter au moins trois scenarii.

  • L’individu change radicalement son système de normes et de valeurs pour s’adapter à celui du monde professionnel. Il y a donc rupture d’avec l’ancien système et création radicale d’une nouvelle identité. Ce genre de situation conduit souvent à des conflits ou de la gêne lorsque l’individu retourne voir sa famille ou ses amis, et cela peut conduire à des formes d’éloignements, de cassure dans les liens affectifs.
  • L’individu ne s’adapte pas au monde professionnel et finit par le quitter. C’est un cas qu’on retrouve parfois chez certains chômeurs dont la socialisation primaire était tellement éloignée des attentes du monde professionnel que l’adaptation en est quasi-impossible. Sans aller jusque-là, cela peut correspondre au fait qu’un individu se rende compte qu’il n’est pas fait pour tel ou tel métier (à l’exemple de l’auteur de ce cours qui n’était pas fait pour la finance). Dans ce cas, l’individu doit trouver dans le monde professionnel quelque chose de compatible avec son système initial. Il n’y alors pas rupture mais continuité.
  • L’individu adopte des identités multiples… C’est ce qui se passe dans la plupart des cas. L’individu a un système de normes et de valeurs dans la sphère familiale et amicale, et un autre système dans la sphère professionnelle. Il y a de grandes chances que le plus méchant des profs ne soit pas ainsi avec ses amis ou ses enfants. Dans ce cas, il n’y ni totalement rupture, ni totalement continuité, mais bien plutôt adaptation. Il n’en reste pas moins que cela pose des questions quant à la durabilité d’une telle situation et le bien-être qu’aura l’individu dans l’exercice de son travail.
Beaucoup de films traitent de ce problème de compatibilité entre systèmes culturels et de la pression psychologique qu’exerce la socialisation professionnelle sur l’individu. Cela peut donc poser un problème de gestion des ressources humaines. Mais c’est aussi le problème de que l’on appelle les transfuges de classes ou transclasses, c’est-à-dire ces personnes qui viennent de milieux populaires, qui ont eu des parcours universitaires prestigieux, et qui doivent s’adapter à un monde professionnel (mais pas que) aux antipodes de ce qu’ils ont vécu dans leur enfance. 



La socialisation conjugale

Les scenarii que l’on a envisagé pour la rencontre de systèmes culturels entre un individu et le monde professionnel peuvent s’appliquer au problème de la socialisation conjugale.

« Conjugal » renvoie au mari et à la femme, c’est-à-dire à un cas de figure dans lequel l’union entre deux personnes est formalisée. En réalité, la socialisation conjugale s’opère dès lors que deux personnes sont durablement en couple (qu’elles soient du même sexe ou non d’ailleurs). Et la socialisation conjugale peut être plus longue que la socialisation primaire (on peut passer plus temps avec son conjoint qu’on en a passé avec ses parents… Et d’une certaine manière, ça fait peur).

Les statistiques montrent que les couples sont fortement homogames… Les cadres sont en couples avec des cadres (les profs sont souvent avec des profs, les médecins avec des médecins…). Les ouvriers sont beaucoup avec des ouvriers ou des employés (les deux pouvant être mis sur le même niveau de l’échelle sociale), etc.

Cela répond à l’adage « qui se ressemble, s’assemble ». Cette homogamie pourrait nous laisser penser que la socialisation conjugale est avant tout une socialisation de continuité : si deux conjoints se ressemblent socialement, il y a de grandes chances que leurs systèmes culturels soient les mêmes…

Sauf qu’il peut exister des variations notables entre les deux systèmes, notamment quand le couple est composé de personnes qui n’ont pas été socialisé de la même manière… Ce qui, rappelez-vous, sera sans doute le cas dans un couple composé d’un garçon et d’une fille.

Par exemple, il a ceux à qui on a appris que le pain devait être mis à l’endroit et ceux qui s’en moquent, ceux à qui on a appris à manger à heures fixes et les autres, ceux à qui ont appris à mettre le linge sale directement dans le panier à linge sale et les autres, ceux qui relève la lunette quand ils font pipi (surtout les garçons évidemment) et les autres, ceux qui nettoient la cuvette, ceux qui font le ménage le samedi matin et pas un autre jour, ceux qui font une petite marche après le repas du dimanche, ceux qui passent une heure dans la salle de bain, ceux qui roulent vite, ceux qui mangent bio, ceux qui appellent leurs parents tous les jours, ceux qui regardent le foot, ceux qui sont casaniers, etc.

[Et je ne vous parle pas des pratiques amoureuses… Vous en discuterez avec vos parents... Mais il y a des études sociologiques des pratiques amoureuses pour ceux que ça intéresse]. 

Autant il faut apprendre à vivre avec ses collègues au travail dans un cadre formalisé (il y a un règlement intérieur), autant le cadre du couple n’est pas formalisé (ou alors vous avez trouvé un conjoint particulier, un Sheldon), et peut donner lieu à une sorte de bataille pour imposer son système.

Derrière ces réflexions, il y a celle sur la stabilité du couple parce que de la rencontre entre deux systèmes peut découler des situations de rupture, de continuité et d’adaptation.

Théoriquement, les situations de continuité semblent plus stables que celles de rupture et d’adaptation.

Cette réflexion sur la socialisation et la répartition du pouvoir au sein du couple prend une importance non négligeable à l’heure de Mee Too et de la mise en lumière des féminicides, des violences sexistes et plus particulièrement conjugales. Elle est donc à la base d’un problème politique important :

Les hommes violents (ce sont essentiellement les hommes) ont un système de normes et de valeurs reposant sur la violence. Or ce système violent est le résultat, avant tout, de processus de socialisations antérieurs. On ne devient pas violent par hasard. Et l’on est bien dans le cas d’un individu qui cherche à imposer son système dans le couple (certaines femmes vont ainsi intérioriser le fait qu’il est normal d’être battue).


La socialisation politique

La socialisation politique, c’est le fait de transmettre les valeurs et les normes politiques à individus de telles sortes qu’il développe ses opinions politiques et ses attitudes politiques. Elle commence dès le plus jeune âge mais elle devient plus prégnante dès lors que l'on est en capacité de voter. 

Par attitudes politiques, on peut entendre le fait d’aller voter systématiquement ou non ou jamais. Le fait d’aller manifester, de boycotter des produits, etc.

Par opinions politiques, on peut entendre les croyances sur ce que doit être le fonctionnement d’Etat, d’une nation, d’une commune, etc., et le ou les partis, ou encore la personnalité politique, qui s’en rapproche le plus. Une opinion politique peut aussi être de considérer que « la politique, c’est de la merde » ou que « tous les politiciens sont des pourris », etc.

Or, cette socialisation politique commence dans les familles. Et, statistiquement, on s’aperçoit que plus les parents discutent de politique plus les enfants développent un goût pour la politique et, même, plus ils votent comme leurs parents dans les premiers temps de leur activité de votants.

La dernière phrase est intéressante parce qu’elle implique que les enfants peuvent changer d’opinion au cours de leur vie.

Cette transformation est le fruit d’une socialisation et, comme, elle intervient souvent à l’âge adulte, on peut parler de socialisation secondaire.

Plusieurs forces interviennent :

  • La socialisation professionnelle. Le contact prolongé avec un système culturel différent de celui de la famille modifie les perceptions des problèmes politiques, c’est-à-dire les représentations mentales. Par exemple, un enfant peut grandir dans une famille dans laquelle le discours sur les impôts est plutôt bienveillant et être confronté à une pression fiscale forte dans son entreprise ou sur son salaire à l’âge adulte. Le discours originel sur les bienfaits des impôts risque d’être malmené. 
  • La socialisation conjugale. Si « qui se ressemble, s’assemble », il n’en reste pas moins qu’un individu peut avoir des opinions politiques différentes (souvent légèrement mais ça n’est pas tout le temps le cas) de son (sa) conjoint(e). Le contact prolongé des deux conjoints peut aboutir à une modification des croyances.
  • La socialisation "générationnelle" (je ne sais pas si ça peut se dire). On s’aperçoit que les manières d’agir politiquement diffèrent d’une génération à l’autre (par exemple, les boycotts sont un mode d’action relativement récent). D’autre part, un individu peut avoir fait l’expérience malheureuse ou heureuse d’un gouvernement, ce qui peut avoir influencé ses croyances politiques.


Et il y a certainement d’autres forces encore mais toutes sont liés comme ces trois premières à des sous-processus de socialisation de type inculcation, action directe et imprégnation.


L’individu n’est donc pas entièrement modelé à la fin de l’enfance et de l’adolescence. Il est socialisé tout au long de sa vie et, si la socialisation primaire constitue le socle à partir duquel un individu est devenu ce qu’il est devenu, il n’en reste pas moins que des forces plus tardives (la socialisation professionnelle, la socialisation conjugale, la socialisation politique, et d’autres encore, peuvent l’amener à évoluer jusqu’au changement radical d’avec son identité première.

La socialisation secondaire conduit donc les identités individuelles sur des trajectoires qui vont de la continuité à la rupture.


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