Les prophéties autoréalisatrices peuvent expliquer les bulles spéculatives




Un actif (une action, un bien immobilier), c’est un produit qui est présent dans une certaine quantité et avec un prix.

Selon la théorie traditionnelle des marchés, les prix s’imposent aux agents économiques qui sont en concurrence les uns avec les autres, et qui sont preneurs de prix. 

D’autre part, ces prix reflètent (toujours selon la théorie), une certaine réalité économique : un kebab s’échange à 5€ parce qu’il a un certain coût de production, dans un cadre où il y a une concurrence entre vendeurs de kebabs, et même une concurrence entre acheteurs de kebabs qui eux ont des contraintes de budgets et de choix à faire dans leurs dépenses. 

Or on a vu que le prix des actifs, lui, pouvait être durablement déconnecté de la réalité économique lors de bulles spéculatives. Comment l’expliquer ?

Une première explication à l’existence de ces bulles spéculatives nous est fournie par l’économiste J.M. Keynes… 

J.M. Keynes (1883-1946)

Keynes associe le fonctionnement des marchés financiers (mais cela peut s’appliquer à de nombreux marchés spéculatifs) à celui d’un concours de beauté dans lequel les gagnants sont ceux qui auraient trouvé, parmi plusieurs femmes, celle qui serait désignée comme étant la plus jolie par les votants : il n’est pas simplement question de donner son avis, il est question de trouver l’avis qui sera donné par le plus grand nombre. La distinction est importante: il faut deviner ce que les autres pensent compte tenu du fait qu'eux-mêmes se demandent ce que les autres pensent. 

Un votant A pensera dans un premier temps à celle qu’il préfère, puis se demandera si son voisin B préférera la même, puis si son voisin B se demandera lui-même ce que pense A… Et tout cela devrait se compliquer si l’on considère qu’il y a une multitude d’individus : on devrait avoir une multitude de réponses aléatoires… Et pourtant, la psychologie économique montre que les choix des individus ne sont pas si aléatoires que cela. 

Par exemple, quand on demande à des élèves français de trouver, parmi les 365 jours de l’année, la date qui sera majoritairement choisi par les élèves, sachant que ceux qui auront trouvé la bonne date auront un 20/20, une bonne partie d’entre eux, après réflexion, choisit le 25 décembre (si on est en automne ou en hiver) ou le 14 juillet si on est au printemps ou en été. Il y a toujours des neuneus qui donnent leur date d’anniversaire ou celle de leur copines (copains) parce qu’ils y sont attachés sentimentalement. Mais chez les vainqueurs, le mécanisme mental semble être le suivant : (1) on ne choisit pas un jour au hasard, (2) il faut une fête nationale symboliquement importante pour le plus grand nombre, (3) les deux plus importantes sont le 25 décembre et le 14 juillet, (4) On est à telle date, on choisit telle fête.

Sur les marchés financiers, on ne fait pas de sentiment (ou très peu). On joue avec de l’argent et beaucoup d’argent. Donc quand on achète une action, on peut sans doute le faire parce qu’on est attaché sentimentalement à une entreprise, mais on le fait surtout parce qu’on anticipe, on prophétise, qu’elle va prendre de la valeurs… En fait, on prophétise que d’autres vont aussi prophétiser qu’elle va prendre de la valeur.

Or si beaucoup d’agents sur les marchés anticipent que tel ou tel actif va prendre de la valeur, beaucoup d’agents vont l’acheter pour pouvoir la revendre plus tard (spéculation). Or si beaucoup l’achète, sa valeur grimpe.

Entre parenthèses, pour ceux que cela intéressent, c’est exactement ce qui s’est passé avec les bitcoins. Les agents anticipaient que la valeur de cette crypto monnaie allait augmenter. Ils en achetaient de plus en plus. Et la valeur de la crypto augmentait.

Donc, en anticipant que la valeur de l’actif va « monter », les agents économiques, par le biais de la loi de l’offre et de la demande, font « monter » la valeur de l’actif. Il y a ainsi prophétie autoréalisatrice.

Une prophétie autoréalisatrice correspond donc à la concrétisation d’une croyance collective envers une chose future. Cette concrétisation résulte des actions individuelles qui se conforment à cette croyance.

Notons que ce qui se passe dans un sens peut se passer dans l'autre sens. Si les agents économiques anticipent que le prix d'un actif va baisser, ils vont chercher à vendre cet actif pour minimiser leurs pertes mais, ce faisant, vont autoréaliser la chute de la valeur de l'actif (l'offre sur le marché devenant supérieure à la demande)... Et encore une fois, c'est ce qui s'était passé pour les bitcoins. 

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