Les enjeux de la mesure de la mobilité et les limites des outils utilisés
En Beauce, un agriculteur peut gagner beaucoup plus qu'un professeur
Pourquoi étudier la mobilité et quelles sont les limites des
outils que l’on utilise pour la mesurer ?
Imaginez un monde dans lequel la structure sociale est
figée… Un monde dans lequel si vous naissez « en bas », vous avez
toutes les « chances » d’y rester. Un monde dans lequel si vous naissez « en
haut », vous avez toutes les « chances » d’y rester aussi. Ce monde, c’est
celui de la société dite d’ancien régime. En France, il s’est conclu par la
révolution et des têtes sont tombées. Une déclaration des droits de l’homme et
du citoyen en est née.
Elle commence ainsi : « Les hommes naissent et demeurent
libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées
que sur l'utilité commune ». Autrement
dit, notre démocratie repose sur l’idée qu’il existe une hiérarchie sociale et
que celle-ci peut être utile au bien-être commun.
Et les démocraties doivent être des sociétés mobiles
socialement sous peine d’éclater. Les places occupées doivent être fonction du
mérite, donc des efforts de chacun. La reproduction sociale, et notamment celle
de la misère et des difficultés, ne pourrait que conduire, à terme, à des troubles…
Comme ça a été le cas en 1789. Et, peut-être, peut-on retrouver dans les «
gilets jaunes » de telles revendications. Les « gilets jaunes » ont le
sentiment que ce sont toujours les mêmes qui sont « dans la mouise». On dit
aussi que « l’ascenseur social » serait en panne.
On comprend donc l’intérêt d’étudier la mobilité sociale et
de chercher politiquement à l’améliorer : la mobilité sociale est l’expression
de l’égalité des chances et l’égalité de chances est le gage d’une société
stable et harmonieuse, une société qui limite les frustrations sociales.
La mesure de la mobilité sociale se fait donc à l’aide des
tables de mobilité. Ces tables sont construites sur des principes objectifs (et
encore, ça se discute) :
- On utilise les professions et catégories socio-professionnelles
- On prend des tranches d’âges telles que la position sociale des sondés soit à peu près définitive (35 à 59 ans).
- On travaille sur un très large échantillon de sondés pour que la mesure soit représentative de la société française.
Mais les tables de mobilité, comme toute construction
scientifique, présentent des limites :
- Elles ne mesurent que depuis récemment la mobilité des femmes par rapport à leur mère parce que beaucoup de mère étaient inactives. C’est de moins en moins vrai mais l’analyse de la mobilité des femmes reste moins riche que celle des hommes. Et en raison de l’inactivité des femmes de la génération des mères, la mesure de la mobilité des filles s’est surtout faite par rapport aux pères.
- La mesure de la mobilité des filles par rapport à leur père est aussi problématique parce que les femmes, d’une manière générale, n’ont pas nécessairement les mêmes professions que les hommes (elles sont ultra majoritaires dans la catégories « employées » et peu de femmes sont ouvrières ou agricultrices).
- D’autre part, les tables de mobilité considèrent comme équivalentes des catégories dont le contenu et la place dans la hiérarchie sociale évoluent d'une génération à l'autre. Par exemple, devenir professeur n’est plus tant que cela un signe d’ascension sociale quand on est fils d’artisan par exemple. Et puis, les professeurs font partie des « cadres et professions intellectuelles supérieures » or cette catégorie regroupe des individus aux conditions de vie, de rémunération, de prestige, etc., très variées. Et c’est encore pire avec les « agriculteurs » (l’agriculteurs céréalier beauceron n’est pas l’éleveur de chèvre des Pyrénées) ou avec les « artisans, commerçants, chefs d’entreprise de plus de 10 salariés » (l’autoentrepreneur qui fait des pâtés ne vit pas comme le propriétaire et directeur du Leclerc du coin).
- De la même manière, la plupart des PCS considèrent comme différentes des catégories qui se ressemblent (les ouvriers et les employés, par exemple). Quelle différence entre une caissière qui passe toute la journée des produits sur un tapis (employée) et une ouvrière qui empaquète des bouteilles ? Elles ont le même salaire et les mêmes troubles musculo-tendineux. Alors que pendant très longtemps, être employé était considéré comme plus prestigieux.
La mobilité ascendante ou descendante peut simplement être une question de perception donc un problème subjectif. On peut se sentir dans une situation moins bonne que celle de ses parents sans que cela soit objectivement le cas.
- Les PCS ne se basent que sur les professions et excluent toutes les autres critères « à la Weber » (comme le prestige ou la politique) qui font que l’on peut monter ou descendre dans l’échelle sociale (le fait d’être président d’association, le fait d’être maire de sa commune, etc.)
- Les PCS ne tiennent pas compte de la précarité de l’emploi. La situation d’un père ouvrier en CDI tout au long de sa vie dans une entreprise n’est pas la même que celle de son fils ouvrier en CDD et qu’il alterne phase d’emploi et de chômage. Pourtant, ils sont comptabilisés de la même manière dans les tables de destinée ou de recrutement.
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