Les difficultés posées par le mode de fonctionnement européen

 

Aider ou pas aider la Grèce? 

La monnaie est unique au sein de l'Union Economique Européenne est unique et gérée par un organisme indépendant. Par contre, les budgets sont avant tout nationaux (le budget commun européen est ridicule), et ces budgets sont donc décidés par les gouvernements, sous contrainte de respect des règles du PSC. 

Voir l'article "les spécificité de la politique conjoncturelle en Europe"

Cette répartition particulière des compétences génère des problèmes de coordination.

 

Le problème de la coordination entre Etats

La coordination des politiques économiques devrait reposer sur la prise en compte des intérêts de chaque Etat dans la mise en place des politiques… Mais le sentiment d’intérêt commun n’étant pas extrêmement développé en Europe et/ou étant secondaire au regard des intérêts électoralistes des gouvernants en place, il est difficile d’instaurer une politique qui pourrait être pénalisante pour un ou des pays « allant bien » et bénéfique pour un ou des « pays allant mal ».

Par exemple, en 2019, l’Allemagne a un très fort excédent commercial (+180 milliards d’euros en 2020). Elle exporte beaucoup plus qu’elle n’importe. Et son taux de chômage, avant crise COVID, était particulièrement bas (autours de 3%). On peut ajouter que sa dette publique était faible (60% du PIB… ce qui correspondait aux critères du PSC) et son déficit public était de 2,5%. La France avait à la même période un gros déficit commercial (80 milliards d’euros) et un taux de chômage plus élevé (autour de 8% en 2020). Sa dette publique en 2019 correspond à 98% de son PIB et son déficit public de 3%.

On le comprend, la situation conjoncturelle en Allemagne était beaucoup plus avantageuse qu’en France. Même constat pour les finances publiques.

Pour améliorer sa situation, la France ne pouvait pas utiliser l’instrument monétaire puisqu'il est géré par la Banque Centrale Européenne qui est indépendante et supranationale (au-dessus des états).

Pour améliorer l’emploi en France, le gouvernement pouvait décider de pratiquer la relance budgétaire… Mais cela se heurte à deux problèmes :

  • Le déficit public et surtout la dette publique ne respectaient déjà pas les critères du PSC.
  • Si la France augmentait ses dépenses publiques ou baissait les impôts (dans les deux cas, elle creusait son déficit public et sa dette), elle n’était pas sûre que cela se traduirait par des effets bénéfiques sur la croissance et l’emploi proportionnels à son « effort » budgétaire initial. Par exemple, et cela s’est déjà vu en France dans les années 80, améliorer le pouvoir d’achat des français peut se traduire par une détérioration de la balance commerciale : les français peuvent acheter plus, mais acheter surtout des produits chinois (des jouets, des vêtements) … voire allemands (des voitures).

Au final, améliorer seule la conjoncture en France pouvait soulever plus de problème que cela n'allait en corriger. 

En fait, l'union européenne devrait être comme une famille: quand un membre va mal, le reste de la famille est solidaire. Evidemment, ça n'est pas le cas dans toutes les familles et c'est encore moins le cas en Europe où il faudrait que les pays coordonnent leurs politiques conjoncturelles. 

En fait, le problème de coordination repose sur trois logiques :

  • Une logique culturelle : tous les pays n’ont pas les mêmes pratiques en matières de gestion de leurs déficits publics. Il y a les « frugaux » (de frugal/qui se contente de peu) comme les Pays-Bas et les « gourmands » qui dépensent beaucoup ou surtout qui dépensent plus que ce qu'ils reçoivent (les pays latins notamment).
  • Une logique de différence de situation : tous les pays ne sont pas dans la même situation économique au même moment.
  • Une logique d’opportunité : un pays peut bénéficier de l’action d’un autre sans faire d’effort. C’est ce qu’on appelle un comportement de passager clandestin (on fait le voyage sans le payer quand on est passager clandestin). Ici, un pays laisse un autre faire les efforts pour bénéficier du fruit de ces efforts.

 Ces trois logiques vont poser problème lorsque les pays sont soumis à des chocs identiques (on dit chocs symétriques) comme la crise COVID par exemple, mais vont poser encore plus de problème lorsque les chocs ne sont pas identiques (les chocs asymétriques). 


Le problème de la coordination face à des chocs symétriques

Imaginons un choc qui touche toutes les économies de la zone Euro… Un choc symétrique… « Ca tombe bien » avec la crise de la COVID-19.

Un choc symétrique est un événement exogène qui affecte l’ensemble des pays d’une zone économiquement intégrée. (Exogène = indépendant du fonctionnement du système).

L’économie ralentit, la production peut diminuer, plus ou moins selon les secteurs, mais il va y avoir un problème sur l’emploi. Le chômage devrait augmenter, la pauvreté aussi, et les conséquences sociales devraient être catastrophiques.

Aux Etats-Unis, Trump puis Biden vont mettre en place des plans de relance monétaire et budgétaire. Cela ne pose pas de problème véritable puisque tout est centralisé à Washington et que la logique est fédérale, collective.

En Europe, c’est plus compliqué. Face à ce choc symétrique (qui touche tous les pays de la même manière donc), la banque centrale peut agir puisque cela touche toute la communauté des Etats. Mais d’un point de vue relance budgétaire, tous les états ne vont pas être d’accord ou ne vont pas être incités à coordonner leurs politiques. Il y a défaut de coordination.

  • Les pays culturellement les plus libéraux ne voudront pas nécessairement augmenter leurs dépenses publiques et leur endettement. A l’inverse des pays les plus interventionnistes.
  • Les pays dont la conjoncture était initialement bonne peuvent prendre le temps de voir venir les choses. Les pays déjà en mauvaise situation, eux, vont devoir agir rapidement.
  • Certains pays peuvent laisser agir les autres pour bénéficier indirectement de leur politique de relance (par exemple, l’effet bénéfique qu’il y aura sur leurs exportations… Passager clandestin).

Sur ce dernier point, on tombe sur un problème de type « dilemme du prisonnier »… Rappelez-vous le dilemme du prisonnier postule qu’il peut être plus intéressant de ne pas coopérer que de coopérer quand les gains individuels de la non coopération sont supérieurs individuellement aux gains collectifs de la coopération. 

Bon, c’est compliqué… Dans le « jeu » originel, des prisonniers sont incités à se dénoncer mutuellement plutôt que de coopérer et ne pas dénoncer. En effet, celui qui trahit son collègue peut espérer s’en sortir sans encombre. La théorie disant bien que les deux prisonniers tiendront le même raisonnement, il s’ensuit qu’ils se dénoncent mutuellement ce qui aboutit à la situation collectivement la pire pour les deux prisonniers : ils sont tous emprisonnés longtemps. 

Face à un choc symétrique, on peut appliquer ce modèle. Plutôt que de creuser son déficit budgétaire et sa dette publique, le gouvernement d’un pays peut refuser de mettre en place une politique de relance… en espérant que son partenaire principal le fera (et donc en espérant que cela rejaillira positivement sur ses exportations par exemple). Mais les deux pays raisonnant de la même manière, aucune relance ne sera effectuée. Et les deux pays peuvent plonger dans la récession.

C'est ce qui a pu se passer dans le passé mais face à la gravité de la crise COVID et, en tirant les bonnes conclusions des erreurs passées, les états européens et la commission européenne ont mis en place un grand plan de relance à l’échelle européenne. L’Union Européenne, pour la première fois de son histoire, s’est s’endettée « à l’américaine ». Les pays ont coopéré… 

Cela ne s’est pas fait sans mal. Il a fallu beaucoup de discussions et de pressions mais c'était la première fois, véritablement, que les pays de l'UE décidaient d'une politique commune volontaire. 



Le problème de la gestion des chocs asymétriques

Normalement, vous avez compris que, face à un choc qui affecte toute une zone économiquement intégrée (un choc symétrique), il y a souvent des problèmes de coordination… Alors imaginez ce qui se passe quand le choc est asymétrique.

 Un choc asymétrique est un événement exogène qui n'affecte qu'un ou quelques pays d’une zone économiquement intégrée.

Imaginez un choc qui n’affecterait que l’Espagne… Ou mieux, parce qu’ils sont moins nombreux, parce qu’ils sont moins un partenaire commercial, un choc qui n’affecterait que Chypre.

Par exemple, l’économie Chypriote avec ses 1,2 millions d’habitants seraient en train de s’effondrer parce que le tourisme (qui pèse lourd dans l’économie chypriote) est en train de s’effondrer.

On a connu une situation presque similaire : la crise de la dette Grecque. Les Grecs étaient surendettés, ils avaient caché leur vraie situation aux organismes européens, l’économie était minée par le travail non déclaré, etc.

Dans beaucoup de pays européen, le réflexe a été de dire : « ça n’est pas notre problème, à eux de gérer eux-mêmes leurs bêtises…. ». Il y a quand même eu un plan de soutien européen (sévère) parce que leur problème était financier et pouvait rejaillir sur l’ensemble de la zone euro, la mettant en péril. Le motif « solidarité » était bien loin et beaucoup considéraient que les différents gouvernements grecs s’étaient moqués des institutions européennes. Mais les gouvernements ne sont pas les habitants qui, eux, n’y étaient pas pour grand-chose.



Alors imaginez que ce ne soient pas les Grecs mais bien les Chypriotes (0,26% de la population européenne) qui soient touchés par un choc asymétrique.

La Banque Centrale Européenne ne peut rien faire puisque qu’une relance monétaire affecterait tout la zone euro, notamment en générant de l’inflation dans des pays qui n’ont rien demandé.

On ne peut pas demander non plus, ou difficilement, une aide financière de la part des Etats qui composent l’union : pourquoi aider Chypre plus qu’un autre pays en difficulté dans le monde, et pourquoi le faire alors que le pays voisin ne le fait pas, et pourquoi le faire alors que le pays ne constitue pas un partenaire commercial important… et puis chacun ses problèmes.

Idéalement, un budget fédéral aurait pu permettre une action ciblée sur Chypre. 

Par exemple, après les ouragans Lothar et Martin (en décembre 1999), l’Etat français est intervenu pour soutenir l’économie des départements touchés comme la Charente Maritime… Parce qu’il y a une forme de solidarité nationale basée aussi sur la contribution à l’échelle nationale (on ne paie pas des impôts pour soi mais pour la nation). Ce mécanisme n’existe pas vraiment à l’échelle européenne.

Pour terminer sur ce problème des chocs asymétriques, la difficulté qui est soulevée par le fonctionnement de l’Union Européenne, c’est que les pays qui la composent sont très hétérogènes. 

Ils peuvent être hétérogènes en matière de production. Ainsi, la création de richesse du secteur secondaire (industrie et bâtiment) représente 17% du PIB total en France, aux Pays-Bas… Et jusqu’à 27% en Allemagne, 36% en Irlande. Donc un choc affectant la construction ou l’industrie n’aura pas les mêmes répercussions selon les pays. 

Mais ils sont aussi hétérogènes en matière de développement humain : en matière de niveau de vie, d’espérance de vie, d’accès aux services publiques… Et, on le voit de plus en plus, d’exposition aux flux migratoires qui peuvent donc être compris comme choc exogène asymétrique. l'Italie, la Grèce, l'Espagne, sont particulièrement touchées. 

Enfin (comme le montrait le sujet de bac de 2024), ils sont asymétriques en matière de taux d'inflation (12,3% en Lettonie en 2023 pour 2,9% en Espagne) ou en termes de taux de chômage (5,7% en Lettonie pour 12,7% en Espagne). D'ailleurs, on comprend facilement le problème de la coordination avec cet exemple Lettono-Espagnol: 

  • si la banque centrale Européenne décide de lutter contre l'inflation notamment en Lettonie, elle doit augmenter les taux d'intérêt ce qui va déprimer la production sur toute la zone et donc potentiellement augmenter le chômage en Espagne.
  • si la banque centrale Européenne décide de lutter contre le chômage notamment en Espagne,  elle doit baisser les taux d'intérêt ce qui potentiellement augmentera l'inflation en Lettonie.

Ainsi, les comportements de passagers clandestins, les différences d'idéologie économique et l'hétérogénéité des situations rendent difficile la coordination es politiques face à des chocs symétriques et encore plus face à des chocs asymétriques. 


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