Les institutions déterminent l'ampleur d'un chômage structurel

 




Les institutions protègent… Soit. Elles minimisent l’impact des fluctuations de l’activité économique sur le chômage, certes. Mais indépendamment de la conjoncture économique, il existe un chômage qui structurel. Il peut être lié à des problèmes d'appariement ou d'asymétries d'information mais pas seulement...

Quand on regarde avant la crise de la COVID, on peut se rendre compte très facilement que, en France ou en Italie, le taux de chômage est considérablement plus élevé qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni:

9,1% en Italie, 7,8% en France mais 3,9% au Royaume-Uni et 3,7% aux Etats-Unis. 

Evolution comparée des taux de chômage 

Ces différences ne peuvent être par expliquées par les problèmes d'appariement et d'asymétries puisque ces problèmes existent dans tous les pays. 

 Pour ces quatre pays, le taux de chômage baisse depuis la crise des subprimes On est dans une période stable, avec de la croissance, l’emploi augmente. Mais, les écarts entre les deux pays anglo-saxons et les deux pays latins sont globalement toujours les mêmes. Les taux de chômage en France et en Italie sont systématiquement supérieurs de 5 points de % à ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

Pour beaucoup d’économistes, cet écart serait dû à la protection des travailleurs et des chômeurs qui généreraient des effets pervers dégradant considérablement le fonctionnement du marché du travail. Les institutions qui encadrent ou, dit autrement, qui structurent le marché du travail ne seraient pas les bonnes et généreraient donc du chômage structurel.

 Un petit avertissement pour ce qui suit… Le discours que je vais tenir correspond à une vision très libérale du marché du travail qui ne se pose pas de questions sur l’aspect social des choses. Donc certains pourraient être choqués. La réflexion de base, ici, c'est comment réduire le chômage, pas comment rendre les gens heureux. Et certains peuvent considérer que le meilleur moyen de rendre les gens heureux  serait de faire en sorte qu'ils ne soient pas au chômage tandis que d'autres pourraient considérer que pour être heureux, il faut avoir la possibilité (et donc la capacité) de ne pas accepter n'importe quel type d'emploi. 

 

Critique 1 Le salaire minimum serait inadapté à la réalité du marché du travail

Le salaire minimum (ou SMIC en France) a été institué en 1950 (il s’appelait SMIG à l’époque). Le but était d’instaurer une rémunération du travail salarié limitant la pauvreté des travailleurs et l’exploitation. Il part donc d’un bon sentiment. D’ailleurs, à une échelle nationale, on peut penser qu’il soutient la consommation.

Sur les 27 Etats membres de l’Union Européenne, 21 ont une législation nationale qui établit un salaire minimum. Les 6 autres ont des règles par branches (le textile, l’éducation, l’agriculture, etc.) qui font qu’il peut varier d’un travailleur à l’autre. En Allemagne, il n’y avait pas de salaire minimum avant 2015. On pouvait travailler pour 3€ de l’heure. Le pays a choisi d’en adopter un… de 9,5€ brut de l’heure soit à peu près 1€ de moins qu’en France.



Mais si la plupart des pays développés l’ont adopté, pourquoi ou comment peut-il poser problème ? 

Les économistes libéraux vous diraient que s’il est trop élevé, s’il est supérieur au salaire théorique d’équilibre, il incite plus d’offreurs de travail (les travailleurs) à chercher à vendre leur force de travail et surtout, il décourage la demande de travail des entreprises pour qui la rémunération des travailleurs devient trop couteuse. Il y a donc un fossé qui se creuse entre l’offre et la demande de travail; un fossé qui génère un excédent de main d’œuvre disponible : les chômeurs.

De plus, en établissant un coût du travail trop élevé, l’Etat encouragerait soit le recours à plus de machines (ce qu’on appelle la substitution du capital au travail) soit les délocalisations (les entreprises se déplaceraient là où les travailleurs coûtent moins cher).

Evidemment, cela ne concerne que le travail peu ou pas qualifié ; les professions intermédiaires ou les cadres ont des rémunérations supérieures au salaire minimum mais pensez aux employés comme les caissières par exemple.

Une caissière qui travaille 35h par semaine gagne 1200€ mais coûte réellement avec les charges sociales 1600€ soit à peu près 19000€ par an. Le calcul est simple pour un directeur de supermarché. Il faut un vigile pour 4 caisses automatiques. Le vigile est payé lui aussi au SMIC (19000€) mais le directeur fait l’économie de 4 caissières (4 x 19000€ = 76000€). Le directeur fait donc l’économie de 76000 – 19000 = 57000€.

Je ne sais pas combien coûte une caisse automatique mais partons du principe qu’elle a une durée de vie de 5 ans et qu’il en faut 4. Pour que les caissières soient moins coûteuses que les 4 caisses automatiques, il faudrait que ces caisses automatiques coûtent 5 x 57000€ =   285000€, à peu près 71 000€ la caisse.

Je doute que la machine soit à ce prix-là. Alors évidemment, la réalité est plus complexe et les clients sont attachés au contact humain qu’ils ont avec les caissières (ce qui en fait un argument marketing) mais on voit bien qu’un SMIC élevé peut décourager l’embauche…

Dans certains pays, il n’y a pas de SMIC ou il est très bas… Par exemple, aux Etats-Unis, les travailleurs qui peuvent recevoir des pourboires (les serveurs notamment) ne sont pas protégés par un salaire minimum et sont parfois payés 3€ de l’heure.

Ces  travailleurs ne coûtent pas cher et donc peuvent facilement être « embauchables » (le terme n’existe pas mais on le comprend).

Bilan : taux de chômage aux Etats-Unis : 3,7% en janvier 2020 ; taux de chômage en France : 7,8%.

 

Critique 2 Les charges sociales augmenteraient trop le coût du travail

Par-delà le problème d’un salaire minimum trop élevé, se pose celui d’un coût du travail globalement trop élevé en France en raison de ses institutions.

Pour financer la protection sociale des travailleurs (l’assurance maladie, l’assurance chômage, l’assurance vieillesse), il faut de l’argent. Dans le système français, cet « argent » provient des cotisations sociales.

Les cotisations sociales sont ainsi les sommes versées par les individus et par leurs employeurs, à la Sécurité sociale et aux régimes privés de protection sociale.

En tant que salariés, plus tard, vous verserez des cotisations sociales qui seront prélevées sur votre salaire mais dans le même temps, votre employeur versera des cotisations sociales lui-aussi parce qu’il vous emploie.

Voici ce que cela donne (à peu près) pour 3 niveaux de salaires à temps plein différents :

 

Source: Pôle emploi, 2019.

Un salarié au SMIC reçoit 1183€ sur son compte en banque, mais son vrai salaire, c’est le Brut (1183+338 = 1521) … mais son vrai coût, c’est 1521 + 94 = 1615€. Les charges sociales font ainsi augmenter le coût d’un « smicard » (quelqu’un qui gagne le SMIC) de 36,5%.

Pour quelqu’un dont le salaire correspond à 1,5 smic, c’est 39,5% de plus. Et pour quelqu’un qui gagnerait aux alentours de deux SMIC, c’est… 76% de plus.

Ce système de protection sociale est culturel dans le sens où il répond à une valeur très forte en France : la solidarité. On paie selon ses moyens pour ceux qui sont dans le besoin… sachant qu’on sera peut-être individuellement dans le besoin un jour. (Rappelez-vous votre chapitre sur les risques de première).

Mais ! D’un point de vue économique, on voit bien où est le problème. Les cotisations sociales font exploser le coût du travail.

D’un côté, comme elles sont reversées, elles encouragent la consommation (des chômeurs, des malades, des retraités) et potentiellement, les travailleurs se sachant protégés peuvent être plus efficaces au travail, voire peuvent prendre plus de risques en termes d’innovations, d’initiatives, etc… (Rappelez-vous votre chapitre sur les risques de première).

D’un autre côté, les cotisations sociales encourageraient l’automatisation de la production, les délocalisations (surtout si la concurrence est rude). Elles encourageraient aussi… le travail au noir, et notamment, le recours à des salariés non déclarés (dans ce cas, on les paie mais on n’a pas à compter les charges sociales). On a dans ce cas des travailleurs qui peuvent être comptabilisés parmi les inactifs ou les chômeurs, et cela contribue à alimenter le halo du chômage.

Pour terminer, je vous soumets ce graphique… Il vous donne ce que coûte, en moyenne, un travailleur dans les pays de l’UE.

Source; INSEE référence, édition 2019.

Le graphique est imparfait parce qu’il est une moyenne tous secteurs confondus, toutes productions confondues. Or, tous les pays n’ont pas la même structure de production (primaire, secondaire, tertiaire) et ne produisent pas de biens et des services de qualité équivalente.

Mais quand même, on peut se dire que le travailleur Français moyen coûte plus que le Britannique moyen. 

Et au final, le taux de chômage au R-U en janvier 2020 est de 3,9%, deux fois plus petit qu'en France.

Attention, quand je fais ça, quand je conclus, je triche avec vous… Parce que je fais exprès d’oublier l’Allemagne (3,4%) et le Danemark (4,9%). Mais chut! Dans cet article, on n'en parle pas. Faudrait quand même qu'on se demande comment ils font... Mais pas ici. 

 

Critique 3 Le code du travail serait trop contraignant

Lors d'un précédent article sur les institutions et le chômage (lien), je vous ai dit qu’il y avait des règles de protection de l’emploi qui encadraient les embauches et les licenciements. Et nous avions montré qu’elles pouvaient diminuer l’ampleur de l’impact des fluctuations de l’activité économique sur l’emploi et le chômage (conjoncturel). Et puis j'avais évoqué que le fait de se sentir protégé est une source de bien-être et peut inciter à la prise de risque économique et surtout à l’innovation, ce qui peut être bon pour l’économie.

Mais maintenant, imaginez que vous soyez un employeur, un patron… Vous savez que si vous embauchez quelqu’un et que, à un moment donné, cela se passe mal (au niveau de votre relation avec la personne embauchée ou en ce qui concerne vos ventes), en raison des protections de l'emploi en vigueur en France, vous allez avoir du mal à vous séparer de cette personne embauchée (il faudra bien justifier le motif de licenciement or si c’est mal fait, vous pourrez être sanctionné par un tribunal) ou encore, il va vous falloir verser une prime de licenciement.

Par exemple (je l’ai piqué au site service-public.fr) : « Pour un salaire de référence de 1 500 €, l'indemnité minimale avec une ancienneté de 12 ans et 9 mois est de : [(1 500 x 1/4) x 10] + [(1 500 x 1/3) x 2] + [(1 500 x 1/3) x (9/12)] = 5 125 € ».

Avec cet exemple, on peut se rendre compte de deux choses :

  • Licencier est coûteux
  • Licencier est compliqué (et cela impliquera parfois le recours à un avocat qui n’est pas gratuit).

Vous ajoutez à cela toutes les contraintes et les règles à suivre inscrites dans le code du travail (sur les heures de pauses, les règles sanitaires, les congés, le travail de nuit, le travail des mineurs, le travail dominical, les versements pour la formation, pour la protection sociale, etc.), et vous comprenez que certains dirigeants préféreront ne pas embaucher ou délocaliser vers les pays moins contraignants. Rappelez-vous, ce dernier point, on l’avait évoqué avec le problème du dumping social.

Plus simplement, avez-vous remarqué que, quand on regarde des séries américaines ou anglaises, les lycéens travaillent en dehors de leurs cours.

Alors attention, je ne veux pas que les lycéens travaillent.  Les élèves et les étudiants doivent se focaliser sur les études. Et quand ils travaillent, c’est essentiellement par contrainte. Mais c’est un exemple pour vous montrer qu’il est plus facile d’embaucher dans certains pays.

Je vous donne un autre exemple… J’ai dû licencier une de mes salariées de l'association dont je suis président parce qu’elle refusait de travailler sur un chantier « ménage » pour laquelle je l’avais embauché. Elle voulait faire de la peinture. Or, je n’avais pas besoin d’elle sur le chantier peinture. Elle refusait de faire les tâches pour lesquelles je l’avais embauché. Je l’ai licencié.

Mais, je l’ai mal fait… Mal fait parce que mon équipe et moi-même avions mal lu le code du travail. Résultat : elle a porté plainte au tribunal des prud’hommes, et c’était normal, c’était son droit. J’ai dû lui verser une indemnité de plus de 4000€ (de mémoire) auquel s’ajoutaient 3000€ de frais d’avocat (de mémoire aussi).

Cet exemple n’est pas là pour critiquer la protection des travailleurs. Si cette protection existe, c’est parce qu’il y a eu et il y a toujours des abus. Cet exemple est simplement là pour vous montrer que, à une chose socialement ou juridiquement bonne, il peut y avoir des effets économiques pervers.

Le code du travail est complexe… et beaucoup de petits entrepreneurs à faibles moyens préfèreront ne pas prendre le risque d’embaucher.


Critique 4 La protection des chômeurs augmenterait le chômage volontaire

Vous entendrez tout au long de votre vie que les chômeurs ne recherchent pas d’emploi, et même qu’ils sont bien contents d’être au chômage.

Pôle emploi a estimé que le nombre de chômeurs qui ne recherchaient pas activement un emploi était d’un peu moins de 10% (ou un chômeur sur 10).

Dans la théorie classique, cela s’explique très facilement : les travailleurs, rappelez-vous, font un arbitrage entre travail et loisir. Quand le salaire n’est pas assez élevé, une partie d’entre eux ne veut pas travailler et plus le salaire est bas, moins il y en a qui veulent travailler. Faîtes le parallèle avec le marché du babysitting que l’on a développé : à 2€ de l’heure, peu d’élèves veulent en faire, à 5€, il y en a plus, à 10€ plus encore, etc…

Imaginez désormais que l’Etat vous donne 10€ par semaine à ne rien faire. Parmi mes élèves, il est possible - je dis bien « il est possible » parce que c’est discutable - il est possible, donc, que moins d’élèves acceptent de faire du babysitting. « Pourquoi s’embêter à faire du babysitting puisque l’Etat me verse déjà 10€ » vous demanderiez-vous ?

Et pour les chômeurs, ce serait la même chose… « Pourquoi rechercher un emploi puisque l’Etat va me verser 550€ au minimum » se demanderait le chômeur qui se contenterait de 550€?

Pour les économistes classiques ou libéraux, les aides sociales n’inciteraient pas à sortir de la pauvreté et accroitrait le chômage volontaire. C’est-à-dire le chômage voulu, volontairement (c’est redondant), par les chômeurs.

Dans cette logique, plus les aides sont importantes, plus elles désinciteraient au retour à l’emploi.


En conclusion, théoriquement ou idéologiquement, comme vous voulez, l'existence d'un chômage supérieur en France à celui des pays anglo-saxons serait lié à des rigidités du marché du travail liées aux institutions en place. 

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